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Beauté-famille-sexualité

Le but de ce blog est de parler de la beauté, de la famille et de la sexualité en prenant appui sur la communauté Guin et Mina. La communauté Guin et Mina a une culture riche de plus de 3,5 siècles mais peu connue. Aujourd'hui, cette communauté n'est visualisée qu'à travers les pratiques sexuelles peu positives d'une minorité de femmes guinnou ou Mina. Ce blog revisite l'organisation sexuelle du peuple Guin et Mina à travers le temps (approche diachronique) afin d'en tirer des inspirations susceptibles de façonner notre mode de vie contemporain. Mot clés : #Beauté, #Sexualité, #Famille, #Guin, #Mina

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

Volet 1 : La beauté et l'argent mènent la danse.

Dans les deux précédents articles, j'ai défini la beauté et donné l'angle sous lequel je l'appréhende dans mes travaux. J'ai aussi fait ressortir le lien entre beauté et séduction ; le lien entre beauté et désir sexuel.

La beauté, c'est-à-dire un visage et un corps, naturels ou entretenus artificiellement- qui remplissent les critères d'attirance selon le goût de chacun/e, est un facteur de déclenchement des pulsions et du désir sexuels. Et l'argent est là pour aiguiser la beauté à son extrême, mais aussi et surtout, pour l'apprivoiser.

Entre la beauté et l'argent, tout se passe comme si nous sommes sur un marché soumis à des règles de l'offre et de la demande. D'un côté, il y a la beauté, de plus en plus, entretenue au prix le plus fort qui s'accompagne d'un jeu insidieux de séduction pour attirer les regards. De l'autre côté, il y a des personnes que le beau attire, ou chez qui le beau déclenche le désir et des pulsions sexuels. La beauté, l'image, joue ici le rôle du provocateur, le rôle du perturbateur. Malheureusement, aujourd'hui, cette beauté n'est proportionnellement accessible qu'aux personnes qui en ont les moyens.

Je partage avec vous un extrait du texte de mon doyen et professeur Pierre-Joseph Laurent, texte d'ailleurs qui a nourri mon goût de l'anthropologie du sensible. Pierre-Joseph Laurent a étudie la beauté dans un but d'une meilleure régulation sociale de l'alliance, parce qu'inquiet du fait que l'inégale répartition de la beauté n'est pas de nature à permettre à toutes les femmes de trouver un mari comme c'était le cas jadis sur son terrain de recherche (Kulkinka, un petit village mossi au Burkina Faso). La beauté dérégule les normes établies en matière d'alliance et elle introduit des confrontations et de la violence dans le choix des partenaires, s'en était-il inquiété.

Mais ce n'est pas tant l'aspect qui m'accroche particulièrement sur cette question de dérégulation des normes sociales. Ce pan "vicieux" que j'hérite de la sociologie m'incite à me laisser entraîner par les "jeux d'acteurs", à observer et analyser le jeu que mènent la beauté et l'argent ; en décrire les moments excitants, puis en déceler les points forts et les limites ; oui les limites certaines d'un jeu qui ne peut perdurer [indéfiniment]. Et c'est seulement en ce moment qu'interviendront des réflexions profondes en matière de régulation et sans doute des propositions de solutions osées à la mesure de la dérégulation, qui sait ?

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

« [...] Les tensions apparues au sein des alliances se manifestent à un moment particulier de la transformation de la société mossi, où désormais les principes coutumiers du « vivre ensemble » sont mis à mal, tandis que L’État peine à organiser d’autres principes de solidarité entre les personnes, là où les formes de sécurité sociale restent limitées, voire parfois inexistantes, et de toute façon seulement à la portée d’une minorité de salariés. Ce moment particulier allait retenir mon attention. L’essor du libre choix du conjoint se déroule dans un environnement exacerbé par la lutte pour la survie, l’accès à la consommation et la recherche par tous les moyens de l’ascension sociale.

Dans ce contexte, à Kulkinka, tout semblait pour un temps permis : les alliances avaient été déclarées obsolètes par la jeunesse, et les mariages régis par les « nouveaux mouvements religieux » très attentifs aux règles et aux normes, n’avaient pas encore totalement envahi la société rurale mossi. Pendant ce moment d’une exceptionnelle inventivité, je fus témoin de débats qui portaient sur « l’importance du regard », donc sur l’importance de se ménager la possibilité de voir son partenaire avant de prendre la décision de se marier. J’observais ce phénomène tant chez les filles que chez les garçons, mais avec des nuances. Pour les jeunes filles, le fait de désormais pouvoir « voir » son partenaire renvoyait plutôt à la possibilité de se faire une idée quant à l’aisance matérielle de son prétendant, dans une société où désormais « l’habit fait très largement le moine », mais également de pouvoir se forger une opinion sur sa manière de poser le corps, de parler, de se vêtir…. Les garçons m’ont plutôt semblé privilégier l’aspect physique des jeunes filles, sans pour autant totalement écarter le statut socioéconomique. L’idée même de voir, de voir le corps et surtout le visage de l’autre, devenait un facteur décisif, à un tel point que les jeunes –surtout les jeunes filles- doté d’un physique jugé attrayant par l’entourage tentaient de conclure, seuls, un projet d’alliance, une attitude jusqu’alors totalement impensable. Parallèlement, je constatai que tous n’allaient pas trouver aussi aisément chaussure à leur pied ; certains ne trouveraient d’ailleurs pas de conjoint, là où, dans la société coutumière mossi, le statut acceptable pour tout adulte, quel qu’il soit, était celui d’être marié.

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

Dans ce contexte de dérégulation et de transformation rapide de la culture, en ville surtout, comme à Ouagadougou, la capitale, j’observai un nouvel essor du sentiment de jalousie dans des affrontements violents, parfois entre jeunes filles, et entre elles et les épouses plus âgées, pour se « trouver un mari capable » (un homme avec une certaine aisance financière) et/ou, une fois mariée, pour le garder. De même, les rivalités entre les hommes nantis et les autres, dont les jeunes, pour l’accès à la sexualité des jeunes femmes, devenaient de plus en plus visibles. Dans ce contexte, résumé par l’idée de la « modernité insécurisée », l’écart entre le niveau de vie des nouveaux riches et des autres se creusait. Ce différentiel devenait l’objet de toutes les manipulations et a conduit à l’édification de nouveaux rapports sociaux dont les principaux acteurs sont des big men, affublés de leurs réseaux de dépendants et de clients. Le plus souvent émergeaient des luttes âpres faisant la part belle à une forme nouvelle de barbarie, laquelle portait sur un utilitarisme immédiat tournés vers le corps comme enjeu, où se mêlaient puissance et pouvoir (en l’occurrence de l’argent), beauté et séduction, à la fois, chez les hommes dominants, pour l’accès à la sexualité des jeunes filles et, chez certaines jeunes filles, pour leur survie, par le recours à leur corps, ou à la recherche d’ascension sociale.

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

Cet état d’esprit peut nous paraître cynique. Il résulte toutefois de la conjoncture actuelle qui fait de l’autre l’objet de son désir et l’asservit. Il n’est pas le propre des hommes dominants, car la recherche de la survie ou de l’ascension sociale par l’utilisation du corps n’est plus, ou peut-être n’a jamais été, le seul apanage des jeunes filles. Le tourisme sexuel concerne les hommes et les femmes. Par exemple, depuis quelques années déjà, des villages de la côte gambienne accueillent une clientèle touristique spécialisée, plutôt composée de femmes européennes originaires du nord de l’Europe. Ces femmes généralement célibataires, plutôt âgées, parfois abandonnées, ou encore ne désirant plus s’encombrer d’un homme ou d’un mari, recherchent la possibilité d’accéder au corps d’hommes jeunes et séduisants, alors que dans leur pays, pour des raisons très diverses, elles éprouvent des difficultés ou des réticences dans la rencontre avec l’autre sexe. 

 

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

La séduction de ces femmes européennes par des hommes gambiens est facilitée par une confusion entretenue quant aux objectifs des uns et des autres et par l’existence d’un différentiel économique qui dénature d’emblée la rencontre : cette situation inégale donne à certaines (l’illusion de) la toute-puissance, par la maîtrise de l’argent, et aux autres l’espoir d’entrer dans la société de consommation. Un homme jeune, beau, fort tente de séduire une femme occidentale, parfois âgée ou mal dans sa peau, avec l’espoir de l’épouser, de partir en Europe et d’entretenir ainsi sa famille, restée au pays, par l’envoi mensuel de mandats. Notons que ces jeunes gigolos doivent dans la plupart des cas faire l’impasse sur la beauté de leur maîtresse ! La séduction des femmes blanches devient le modèle de la réussite et un comportement valorisé pour ces gamins de la côte gambienne, dès lors qu’ils ont comme exemple leurs aînés qui, mariés avec une étrangère, pourront enfin émigrer, pour revenir un jour, seuls le plus souvent, mais couverts des signes de la réussite sociale et économique, tels que la possibilité de construire une maison en matériaux solides, la possession d’une voiture, le soin mis dans l’habillement, ou encore le port ostentatoire de bijoux en or… Ces signes de respectabilité devraient aussi pouvoir gommer, voire justifier les moyens mis en œuvre pour arriver à leurs fins, là où, à l’inverse, la prostitution féminine reste sévèrement contrôlée. Bref, de tout ceci, il me semblait advenir ou peut-être tout simplement revenir […] une véritable obsession de la beauté dans l’édification des relations sociales et plus particulièrement des relations entre les hommes et les femmes.

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

En élargissant à présent ces propos, retenons l’idée de l’émergence progressive – à la faveur d’un mouvement de la globalisation de la modernité, c’est-à-dire dans cette période de modernité tardive, au Burkina Faso, comme ailleurs – d’une tyrannie de la mise en scène de l’image désirable de soi, dans un sens ici esthétique et utilitaire. Le sociologue allemand Georges Simmel expliquait que « grâce à sa figure, un homme est déjà compris par son aspect, avant d’être compris par ses actes » (Simmel, 1993). Cette promotion de l’image désirable de soi repose d’une part sur la tension entre la volonté de se singulariser pour attirer les regards et en même temps chercher à ressembler, à imiter et, d’autre part, sur la souffrance de ne pas posséder les formes canoniques véhiculées par les (top) modèles. On va alors valoriser la ressemblance (prestance, minceur, performances sexuelles, etc.) à savoir le désir absolu, mimétique, perpétuel et omniprésent de plaire, de séduire, d’être beau, d’être jeune, bref d’être reconnu par le désir que l’on suscite, les médias – magazines périodiques, la télévision et Internet surtout – jouant un rôle déterminant dans la diffusion planétaire de nouveaux standards des relations fondées sur la « la beauté [...] ». (Laurent, 2010, emplacement 107 à 178).

La mise en valeur de la beauté sur le marché économique et de l'amour, volet1

Le phénomène décrit par le professeur Laurent concernant la Gambie n'est pas un cas isolé. Cette tendance à accéder à l'ascension sociale par le jeu de la séduction gagne progressivement du terrain dans de nombreuses sociétés tant en Afrique qu'en Occident, les gigolos existent partout, de même que les jeunes filles au corps monnayable. Ce n'est pas non plus un champ d'observation où les frontières des catégories établies sont fixes. Bien au contraire, le champ d'observation sur la sexualité avec les leviers qui l'actionnent (beauté, séduction, argent, etc.) reste un champ ouvert où de nouvelles catégories émergent au gré des dérégulations progressives des normes de vie commune.

Ici et là, on observe 1) des jeunes filles qui misent sur leur beauté pour accéder à une ascension sociale en dénichant un homme capable financièrement de les entretenir, peu importe qu’il soit beau ou laid ; ou 2) des jeunes filles qui font le choix de "monnayer" leur beauté (auprès de nombreux hommes) sur une durée de vie déterminée avant de se fixer dans un ménage ; à l'inverse, on observe également des catégories similaires chez les jeunes hommes ; c'est-à-dire 3) des jeunes-hommes, beaux, musclés dont l'objectif est de dénicher des femmes seules, jeunes ou vielles, belles ou laides, capables de les entretenir ; construire un ménage n'est pas tout de suite leur but ; on observe aussi 4) des femmes âgées, Blanches ou Black, en quête de jeunes-hommes, beaux, séduisants capables de leur procurer du plaisir sexuel quel que soit le prix à payer : qu'on les désigne par "cougar" (en Occident), "gnagni" (au Burkina Faso), "Nana benz" (au Togo) ou "tanti" ailleurs en Afrique, le phénomène de femmes matures qui recherchent et séduisent des hommes beaucoup plus jeunes est partout en vogue ; on observe aussi 5) ces hommes mariés, âgés, mais de plus en plus jeunes aussi, qui entretiennent, de façon extraconjugale, de nombreuses jeunes belles filles (appelées maitresses) comme un indicateur de réussite sociale. Mais ce n'est pas tout. Dans quelles catégories peut-on classer 6) ces jeunes gens (garçons et filles), généralement enfants de politiciens, de riches opérateurs économiques, ou de riches parvenus, qui profitent de la richesse de leurs parents pour se lancer, en toute arrogance, dans une sexualité incontrôlée (sous le nez et à la barbe de leurs parents) ? Ou encore 6) ces belles femmes mariées qui se laissent entretenir par des amants plus nantis que l'élu de leur cœur, en tout affront aux normes établies ? .... La beauté et l'argent, ce sont eux qui mènent la danse.

Bonne lecture à vous, chers lecteurs et chères lectrices. Et Joyeuses Pâques.

Bonne lecture à vous, chers lecteurs et chères lectrices. Et Joyeuses Pâques.

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